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LE CHRIST ROI DES NATIONS

En cette année 2005, centenaire de la loi qui refuse de reconnaître tout statut public à l’Eglise catholique (mais la République en accorde un à l’Islam depuis 2003 avec la création du Conseil français du culte musulman),nous avons choisi un texte du cardinal Pie, évêque de Poitiers, sur le Christ-Roi. Car c’est par une simplification abusive que l’on oppose, pour prôner le laïcisme, la fausse symétrie : la laïcité d’un côté ou l’abominable théocratie (affublée aussi du nom de cléricalisme) de l’autre. Mais c’est un pur mensonge.

La société, depuis la venue du Christ, a d’autres solutions que la théocratie à la mode païenne ou cette autre forme totalitaire qu’est le laïcisme.

L’institution du pouvoir spirituel et la distinction de ce pouvoir et du pouvoir temporel, selon les paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ, sont les vraies solutions aux problèmes de la Cité : c’est ce principe qui permet de mettre la recherche du bien commun sur les rails de la justice sociale et d’assurer sa véritable place à la religion (et d’abord à la seule vraie) dans la société.

 

I/Fondements scripturaires

 

Jésus-Christ est roi ; il est roi non seulement du ciel, mais encore de la terre, et il lui appartient d'exercer une véritable et suprême royauté sur les sociétés humaines : c'est un point incontestable de la doctrine chrétienne. Ce point, il est utile et nécessaire de le rappeler en ce siècle. On veut bien de Jésus-Christ rédempteur, de Jésus-Christ sauveur, de Jésus-Christ prêtre, c'est-à-dire sacrificateur et sanctificateur; mais, de Jésus-Christ roi, on s'en épouvante; on y soupçonne quelque empiétement, quelque usurpation de puissance, quelque confusion d'attributions et de compétence. Etablissons donc rapidement cette doctrine, déterminons-en le sens et la portée, et comprenons quelques-uns des devoirs qu'elle nous impose dans le temps où nous vivons.

    Jésus-Christ est roi ; il n'est pas un des prophètes, pas un des évangélistes et des apôtres qui ne lui assure sa qualité et ses attributions de roi. Jésus est encore au berceau, et déjà les Mages cherchent le roi des Juifs : Ubi est qui  natus est, rex Judaeorum (Matth. 2/ 2) ? Jésus est a la veille de mourir : Pilate lui demande : Vous êtes donc roi : Ergo rex es tu? (Jn. 17/ 37). Vous l'avez dit, répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d'autorité, que Pilate, nonobstant toutes les représentations des Juifs, consacre la royauté de Jésus par une écriture publique et une affiche solennelle (Jn. 19/ 19-22). «  Ecrivez donc, s'écrie Bossuet, écrivez, ô Pilate, les paroles que  Dieu vous dicte et dont vous n'entendez pas le mystère. Quoi que l'on puisse alléguer et représenter, gardezvous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel. Que vos ordres soient irrévocables, parce qu'ils sont en exécution d'un arrêt immuable du Tout-Puissant. Que la royauté de Jésus-Christ soit promulguée en la langue hébraïque, qui est la langue du peuple de Dieu, et en la langue grecque, qui est la langue des doctes et des philosophes, et en la langue romaine, qui est la langue de l'empire et du monde, la langue des conquérants et des politiques. Approchez maintenant, ô Juifs, héritiers des promesses; et vous,ô Grecs, inventeurs des arts; et vous, Romains, maîtres de la terre; venez lire cet admirable écriteau : fléchissez le genou devant votre Roi (Bossuet, 1er discours pour la Circoncision).

Elle date de loin, et elle remonte haut cette universelle royauté du Sauveur. En tant que Dieu, Jésus-Christ est roi de toute éternité ; par conséquent, en entrant dans ce monde, il apportait avec lui déjà la royauté. Mais ce même Jésus-Christ, en tant qu'homme, a conquis sa royauté à la sueur de son front, au prix de tout son sang. « Le Christ, dit saint Paul, est mort et il est ressuscité à cette fin d'acquérir l'empire sur les morts et sur les vivants » : In hoc Christus mortuus est et resurrexit, ut et mortuorum et vivorum dominetur (Rom. 19/ 9). Aussi le grand apôtre fonde-t-il sur un même texte le mystère de la résurrection et le titre de l'investiture royale du Christ : « Le Seigneur a ressuscité Jésus, ainsi qu'il est écrit au psaume second : Vous êtes mon Fils; je vous ai engendré aujourd'hui (Ac. 13/ 33). Ce qui veut dire : De toute éternité, je vous avais engendré de mon propre sein; dans la plénitude des temps, je vous ai engendré du sein de la Vierge votre mère; aujourd'hui je vous engendre en vous retirant du sépulcre, et c'est une nouvelle naissance que vous tenez encore de moi. Premier-né d'entre les vivants, j'ai voulu que vous fussiez aussi le premier-né d'entre les morts, afin que vous teniez partout la première place : Primogenitus ex mortuis, ut sis in omnibus ipse primatum tenens (Col. 1/ 18). Vous êtes donc mon Fils; vous l’êtes à tous les titres puisque je vous ai triplement enfanté, de mon sein, du sein de la Vierge, et du sein de la tombe. Or, à tous ces titres, je veux que vous partagiez ma souveraineté, je veux que vous y participiez désormais comme homme, de même que vous y avez éternellement participé comme Dieu. « Demandez donc, et je vous donnerai les nations en héritage, et j’étendrai vos possessions jusqu'aux extrémités de la terre (Ps. 2/ 8).

  Et Jésus-Christ a demandé, et son Père lui a donné, et toutes choses lui ont été livrées (Luc 10/ 22). Dieu l'a fait tête et chef de toutes choses, dit saint Paul (Eph. 1/ 22; Col. 2/ 10), et de toutes choses sans exception : In eo enim quod omnia ei subjecit, nihil dimisit non subjectum (Heb. 2/ 8). Son royaume assurément n'est pas de ce monde, c'est dire, ne provient pas de ce monde : Regnum meum non est de hoc mundo; non est ex hoc mundo (Jn. 18/ 36) ; et c'est parce qu'il vient d'en haut, et non d'en bas : regnum meum non est hinc (ibid.), qu'aucune main terrestre ne pourra le lui arracher. Entendez les derniers mots qu'il adresse à ses apôtres avant de remonter au ciel : Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc, et enseignez toutes les nations (Matth. 28/ 18, 19).

          Remarquez, Jésus-Christ ne dit pas tous les hommes, tous les individus, toutes les familles, mais toutes les nations. il ne dit pas seulement : Baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les mourants, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute, la mission qu'il leur confère comprend tout cela, mais elle comprend plus que cela : elle a un caractère public, un caractère social. Et, comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie ses apôtres et son sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les législateurs, pour enseigner à tous sa doctrine et sa loi. Leur devoir, comme celui de Paul, est de porter le nom de Jésus-Christ devant les nations, et les rois, et les fils d'Israël » : Ut portet nomen meum coram gentibus, et regibus, et filiis Israel (Ac. 9/ 15).

 

A/1ère objection : La royauté de Notre Seigneur Jésus Christ est du cléricalisme

Mais je vois venir l'objection triviale, et j'entends s'élever contre ma doctrine une accusation aujourd'hui à la mode. La thèse que vous développez, me crie-t-on, c'est celle de la théocratie toute pure. La réponse est facile, et je la formule ainsi : « Non, Jésus-Christ n'est pas venu fonder la théocratie sur terre, puisqu’au contraire il est venu mettre fin au régime plus ou moins théocratique qui faisait toujours le fond du mosaïsme, encore que ce régime eût été notablement modifié par la substitution des rois aux anciens juges d'Israël ». Mais, pour que cette réponse soit comprise de nos contradicteurs, il faut, avant tout, que le mot même dont il s'agit soit défini : la polémique exploite trop souvent avec succès, auprès des hommes de nôtre temps, des locutions dont le sens est indéterminé. Qu'est-ce donc que la théocratie ? La théocratie, c'est le gouvernement temporel d'une société humaine par une loi politique divinement révélée et par une autorité politique surnaturellement constituée. Or, cela étant, comme Jésus-Christ n'a point imposé de code politique aux nations chrétiennes, et comme il ne s'est pas chargé de désigner lui-même les juges et les rois des peuples de la nouvelle alliance, il en résulte que le christianisme n'offre pas trace de théocratie. L'Eglise, il est vrai, a des bénédictions puissantes, des consécration solennelles pour les princes chrétiens, pour les dynasties chrétiennes qui veulent gouverner chrétiennement leurs peuples. Mais, nonobstant cette consécration des pouvoirs humains par l'Eglise, je le répète, il n'y a plus, depuis Jésus-Christ, de théocratie légitime sur la terre. Lors même que l'autorité personnelle est exercée par un ministre de la religion, cette autorité n'a rien de théocratique, puisqu'elle ne s'exerce pas en vertu du caractère sacré, ni conformément à un code inspiré. Trêve donc, par égard pour la langue française et pour les notions les plus élémentaires du droit, trêve à cette accusation de théocratie qui se retournerait en accusation d'ignorance contre ceux qui persisteraient à la répéter.

B/ 2ème objection : La subordination morale du pouvoir temporel aux lois de Dieu est un joug insupportable

Le contradicteur insiste, et il me dit : Laissons la question de mots. Toujours est-il que, dans votre doctrine, l'autorité temporelle ne peut pas secouer le joug de l'orthodoxie; elle reste forcément subordonnée aux principes de la religion révélée, ainsi qu'a l’autorité doctrinale et morale de l’'Eglise; or, c'est là ce que nous appelons le régime théocratique. Nous appelons, au contraire, régime laïque ou régime sécularisé, celui qui peut s'affranchir à son gré de ces entraves, et qui ne relève que de lui-même.

L'aveu est précieux. C'est-à-dire que la société moderne n'entend plus reconnaître pour ses rois et pour ses princes que ceux « qui ont pris les armes et qui se sont ligués contre Dieu et contre son Christ », que ceux qui ont dit hautement : «  Brisons leurs liens et jetons leur joug loin de nous » (Ps. 2/ 2, 3). C'est-à-dire qu'il faut supprimer la notion séculaire de l'Etat chrétien, de la loi chrétienne, du prince chrétien, notion si magnifiquement posée dès les premiers âges du christianisme, et spécialement par saint Augustin. C'est-à-dire encore que, sous prétexte d'échapper à la théocratie imaginaire de l'Eglise, il faut acclamer une autre théocratie aussi absolue qu'elle est illégitime, la théocratie de César chef et arbitre de la religion, oracle suprême de la doctrine et du droit : théocratie renouvelée des païens, et plus ou moins réalisée déjà dans le schisme et l'hérésie, en attendant qu'elle ait son plein avènement dans le règne du peuple grand-prêtre et de l'Etat-Dieu, que rêve la logique implacable du socialisme. C'est-à-dire, enfin, que la philosophie sans foi et sans loi a passé désormais des spéculations dans 1'ordre pratique, qu'elle est constituée la reine du monde, et qu'elle a donné le jour à la politique sans Dieu. La politique ainsi sécularisée elle a un nom dans 1'Evangile : on l'y appelle « le prince de ce monde » Jn. 12/ 31, 14/ 30), « le prince de ce siècle » (1 Cor. 2/ 6, 8), ou bien encore «  la puissance du mal, la puissance de la Bête» (Apoc. 11 / 7, 13/ 4) ; et cette puissance a reçu un nom aussi dans les temps modernes, un nom formidable qui depuis soixante-dix ans a retenti d'un pôle à 1'autre : elle s'appelle la Révolution. Avec une rapidité de conquête qui ne fut jamais donnée à l'islamisme, cette puissance émancipée de Dieu et de son Christ a subjugué presque tout à son empire, les hommes et les choses, les trônes et les lois, les princes et les peuples.

 Or, un dernier retranchement lui reste à forcer : c'est la conscience des chrétiens. Par les mille moyens dont elle dispose, elle a réussi à égarer l'opinion d'un grand nombre, à ébranler même les convictions des sages. Des auxiliaires inespérés lui sont venus, qui, non seulement dans le domaine des faits, mais encore dans le domaine des principes, ont accepté et signé avec elle des alliances. Quelques autres, qui persistent à lui faire une mesquine opposition de personnes, se rangent assez clairement à son avis, quant au fond des choses. Le moment ne semble-t-il pas venu pour elle de livrer un assaut décisif? Vous savez, mes Frères, à quelle suprême tentation le Christ fut soumis. Satan le transporta sur une haute montagne, et lui dit : «  Tu vois toutes ces choses? Eh bien ! je te donnerai tout cela si tu tombes à mes genoux et si tu m'adores » : Haec omnia tibi dabo, si  cadens adoraveris me (Matth. 4/ 9). Grand Dieu ! viendra-t-il un jour dans la série des siècles où la même épreuve sera infligée à votre Eglise par le prince de ce monde? La puissance du mal s'approchera-t-elle jamais pour lui dire : Toutes ces possessions terrestres, toute cette pompe et cette gloire extérieure, je te les maintiendrai, pourvu que tu t'inclines devant moi, que tu sanctionnes mes maximes en les adoptant, et que tu me payes ton hommage : Haec omnia tibi dabo, si cadens (quelle chute !) «  cadens adoraveris me? A la parole du séducteur le Christ avait répondu : «Arrière, tentateur, car il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, et tu ne serviras que lui seul ». Et le tentateur s'était éloigné de Jésus, et les anges s'approchant étaient venus le servir (Math. 10/ 11). L'Eglise, placée dans les mêmes conditions que son Maître, ne saurait pas trouver d'autre réponse. Nulle puissance assurément n'a mieux appris qu'elle à tenir compte des difficultés des temps et à se plier aux exigences des conjonctures. Les sacrifices, elle en a tant fait dans le long cours de son existence! Ne sait-elle pas qu'à l'exemple du grand apôtre, elle est débitrice envers tous, envers les ignorants et les insensés comme envers les sages ?

         Mais il est une limite infranchissable pour 1'Eglise : c'est celle où les choses humaines confinent aux titres inaliénables du haut domaine de Dieu et de son Christ sur les sociétés terrestres. En face de certains principes fondamentaux du droit public chrétien, elle est et elle sera toujours inébranlable. Ce n'est pas elle qui substituera jamais, même dans ses institutions purement temporelles, les prétendus droits de 1'homme aux droits imprescriptibles de Dieu. Et si la fermeté invincible de l'Eglise devait la priver désormais de tout appui terrestre, de toute assistance humaine, eh bien! il y a encore des anges au ciel, ils s'approcheraient et ils la serviraient : Et accesserunt angeli, et ministrabant ei

 

II /Les derniers combats des fidèles du Christ

 Je veux le dire à ces chrétiens pusillanimes, à ces chrétiens qui se font esclaves de la popularité, adorateurs du succès, et que les moindres progrès du mal déconcertent : Ah! affectés comme ils sont, plaise à Dieu que les angoisses de l'épreuve dernière leur soient épargnées ! Cette épreuve est-elle prochaine, est-elle éloignée : nul ne le sait, et je n'ose rien augurer à cet égard; car je partage l'impression de Bossuet, qui disait : « Je tremble en mettant les mains sur l’avenir (Explic. de l’Apoc., ch. 20). Mais ce qui est certain, c'est qu’à mesure que le monde approchera de son terme, les méchants et les séducteurs auront de plus en plus 1'avantage : Mali autem et seductores proficient in pejus(2 Tim. 3. 13).

 On ne trouvera quasi plus la foi sur la terre (Luc 18/ 8), c'est-à-dire, elle aura presque complètement disparu de toutes les institutions terrestres. Les croyants eux-mêmes oseront à peine faire une profession publique et sociale de leurs croyances. La scission, la séparation, le divorce des sociétés avec Dieu, qui est donné par saint Paul comme un signe précurseur de la fin : nisi venerit discessio primum (2 Thes. 1/ 3), ira se consommant de jour en jour. L’Eglise, société sans doute toujours visible, sera de plus en plus ramenée à des proportions simplement individuelles et domestiques. Elle qui disait à ses débuts : « Le lieu m'est étroit, faites-moi de l'espace où je puisse habiter » Angustus est mihi locus, fac spatium mihi ut habitem (Is. 49/ 20), elle se verra disputer le terrain pied à pied; elle sera cernée, resserrée de toutes parts; autant les siècles l’ont faite grande, autant on s'appliquera à la restreindre. Enfin il y aura pour 1'Eglise de la terre comme une véritable dé:faite : « il sera donné à la Bête de faire la guerre avec les saints et de les vaincre » (Apoc. 13/ 7). L'insolence du mal sera à son comble.

Or, dans cette extrémité des choses, dans cet état désespéré, sur ce globe livré au triomphe du mal et qui sera bientôt envahi par la flamme (2 P. 3/ 10-11), que devront faire encore tous les vrais chrétiens, tous les bons, tous les saints, tous les hommes de foi et de courage? S'acharnant à une impossibilité plus palpable que jamais, ils diront avec un redoublement d'énergie, et par l'ardeur  de leurs prières, et par l'activité de leurs oeuvres, et par l'intrépidités de leurs luttes :Ô Dieu, ô notre Père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel, que votre règne arrive sur la terre comme au ciel,que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel : Sicut in coelo et in terra! Sur la terre comme au ciel...! Ils murmureront encore ces mots, et la terre se dérobera sous leurs pieds. Et comme autrefois, à la suite d'un épouvantable désastre, on vit le sénat de Rome et tous les ordres de l'Etat s'avancer à la rencontre du consul vaincu, et le féliciter de ce qu'il n'avait pas désespéré de la république; ainsi le sénat des cieux, tous les choeurs des anges, tous les ordres des bienheureux viendront au-devant des généreux athlètes qui auront soutenu le combat jusqu'au bout, espérant contre l'espérance même : Contra spem in spem (Rom. 4/ 18).

 Et alors, cet idéal impossible, que tous les élus de tous les siècles avaient obstinément poursuivi, deviendra enfin une réalité. Dans ce second et dernier avènement, le Fils remettra le royaume de ce monde à Dieu son Père; la puissance du mal aura été évacuée à jamais au fond des abîmes (1 Cor. 15/ 24); tout ce qui n'aura pas voulu s'assimiler, s'incorporer à Dieu par Jésus-Christ, par la foi, par l'amour, par l'observation de la loi, sera relégué dans le cloaque des immondices éternelles. Et Dieu vivra, et il régnera pleinement et éternellement, non seulement dans l'unité de sa nature et la société des trois Personnes divines, mais dans la plénitude du corps mystique de son Fils incarné, et dans la communion de ses saints (Eph. 4/ 12).

 

III :Le Syllabus est-il une doctrine nouvelle ? Les devoirs de l’Etat envers Notre Seigneur Jésus-Christ
 

« Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et dans les enfers; et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père » (Phil. 2/ 9-11).

Il suit de la doctrine de l'apôtre, que l’imposition du nom glorieux de Jésus, et la domination universelle, l'empire souverain attaché à ce nom, sont une récompense accordée au Fils de Marie. Assurément le nom et l'attribut de Maître et Dominateur suprême appartiennent par droit de nature au Fils de Dieu fait homme : c'était l'apanage obligé de la personnalité divine. Mais, à son droit de naissance, il a eu la noble ambition de joindre le droit de conquête; il a voulu posséder à titre de mérite, et comme conséquence des actes de sa volonté humaine, ce que sa nature divine lui octroyait déjà par collation.

Et quelle a été la source de ce mérite ? De quels combats victorieux cette conquête a-t-elle été le prix? Les trois versets précédents de la même épître aux Philippiens nous l'apprennent. « Etant l'image vivante et consubstantielle du Père, et ne commettant point d’'usurpation en revendiquant d'être égal à Dieu, il s'est pourtant anéanti lui-même, prenant la forme de l’'esclave et devenant semblable aux hommes. Que dis-je? il s'est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix » (Phil. 2/ 6-9). Or, poursuit l'apôtre, voilà pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus, tout genou fléchisse, au ciel, sur terre et dans les enfers »

Chacune des paroles du texte sacré a besoin d'être pesée. Entendez vous : Exinanivit semetipsum, humiliavit semetipsum : « Il s'est anéanti lui-même, il s’est abaissé lui-même » ? Lucifer aussi est descendu, il a été abaissé au-dessous de son rang primitif. Mais ce n'est pas de lui-même qu'il est descendu. Bien au contraire, par un sentiment orgueilleux de lui-même, par un effort sacrilège de sa volonté, par un crime de lèse-majesté divine, il a voulu se grandir, se hausser au delà de sa propre stature; il a dit : «  Je monterai, et je serai semblable au Très-Haut » (Is. 14/ 14) ; et c'est par châtiment, c'est par punition, qu'il est déchu de son état premier. Pareillement, l'homme est tombé au-dessous de lui-même et de sa dignité native; mais, pour lui aussi, ç’a été la juste peine infligée à l’ambition dont il s'était laissé séduire : et eritis sicut dii, scientes bonum et malum : vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal (Gen. 3/ 5).

Il n'en a point été ainsi du Verbe incarné. C'est librement, c'est par choix, c'est par amour pour nous que le Fils de Dieu, égal et consubstantiel à son Père, a résolu de s'abaisser jusqu'a prendre notre nature. Puis, ayant poursuivi ce dessein, c'est par un acte méritoire de sa volonté humaine et de ses facultés créées que, non content de s'être fait homme, il s'est fait esclave, qu'il a choisi la confusion de préférence à la gloire, la pauvreté de préférence à la richesse, la souffrance de préférence à la joie, et finalement qu'il a poussé le sacrifice jusqu’à l'acceptation de la mort et de la mort de la croix : Exinanivit semetipsum, formam servi accipiens; [. ..J humiliavit semetipsum, factus obediens usque ad mortem; [...J proposito sibi gaudio, sustinuit crucem, confusione contempta (Heb. 12/ 2).
        Or, dit le grand apôtre, « à cause de cela » : propter quod, et abstraction faite du nom, du rang et de l'empire que lui assurait sa divine origine, «  Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom »
Ce nom étant au-dessus de tout nom, c'est l'ordre établi de Dieu que devant lui tout genou fléchisse au ciel, sur terre et dans les enfers.
      Au ciel : c'est l'attribut, c'est l'occupation des anges et des bienheureux. [...]

      Aux enfers : oui encore, car ce que les élus font au ciel par un mou
vement volontaire d'amour, les démons et les damnés le font par force et par contrainte, atterrés, écrasés devant la majesté de ce nom et de cet empire tout-puissant : Credunt et contremiscunt (Jac. 2/ 19).
      Mais ce qu'il importe surtout de savoir et de comprendre, ce que nous avons voulu principalement énoncer en ce jour, c'est le commandement fait à la terre :
Ut in nomine Jesu omne genu flectatur... terrestrium. Oui, il n'est rien ici-bas, il n'est rien de terrestre, qui ne doive courber le genou devant ce nom de Jésus. L'ayant ressuscité des morts, et 1'ayant établi à sa droite dans les cieux, et lui ayant donné un nom au-dessus de tout nom qui se puisse prononcer, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle futur, Dieu a mis toutes choses sous ses pieds, et il l'a donné pour chef à toute 1'humanité régénérée : Et omnia subjecit sub pedibus ejus, et ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam (Eph. 1/ 22). Et comme c'est le devoir de tout genou de se courber devant ce nom, c'est le devoir de toute langue de reconnaître et de proclamer sa puissance souveraine : Et omnis lingua confiteatur.

« Tout genou : omne genu, toute langue » : omnis lingua. N'établissez donc point d'exceptions là où Dieu n'a pas laissé de place à 1'exception : in eo enim quod omnia ei subjecit, nihil dimisit non subjectum (Heb. 2/ 8). L'homme individuel et le chef de famille, le simple citoyen et 1'homme public, les particuliers et les peuples, en un mot, tous les éléments quelconques de ce monde terrestre : omne genu... terr.estrium, doivent la soumission et 1'hommage au nom de Jésus.

Il est des hommes de ce temps qui n'acceptent pas, et d'autres qui n'acceptent qu'avec peine, les jugements et les décisions de l’Eglise contemporaine. Sans descendre bien avant dans le secret de leur esprit, facilement on y démêle cette objection, quelquefois venue jusqu'a leurs lèvres : comment donner la valeur d'un dogme a des enseignements qui datent du Syllabus ou des préambules de la première constitution du Vatican ?

Tranquillisez-vous, vieux catholiques : les doctrines du Syllabus et du Vatican sont vieilles comme la doctrine des apôtres, comme la doctrine des Ecritures. Et les Pères des premiers siècles ont interprété les écritures, ont commenté les apôtres, conformément à l'interprétation et au commentaire de l'Eglise d'aujourd'hui. A ceux, par exemple, qui s'obstinent à nier 1'autorité sociale du christianisme, voici la réponse que nous donne saint Grégoire le Grand. Il commente ce chapitre de l'Evangile où est racontée l'adoration des mages, c'est-à-dire 1'accomplis­sement des prophéties qui promettaient au Messie 1'adoration de tous les rois et la soumission de toutes les nations de la terre. Expliquant le mystère des dons offerts à Jésus par ces représentants de la gentilité, le saint docteur s'exprime en ces termes :

« Les mages, dit-il, reconnaissent en Jésus la triple qualité de Dieu, d'homme et de roi : ils offrent au roi l’or, au Dieu l'encens, à l’homme la myrrhe. Or, poursuit-il, il y a d'aucuns hérétiques : sunt vero nonnulli heretici, qui croient que Jésus est Dieu, qui croient également que Jésus est homme, mais qui se refusent absolument à croire que son règne s'étende partout » : sunt vero nonnulli haeretici, qui hunc Deum credunt, sed ubique regnare nequaquam credunt.

Mon Frère, vous avez la conscience en paix, me dites-vous, et, tout en acceptant le programme du catholicisme libéral, vous entendez demeurer orthodoxe, attendu que vous croyez fermement à la divinité et à l'humanité de Jésus-Christ, ce qui suffit à constituer un christia­nisme inattaquable. Détrompez-vous. Dès le temps de saint Grégoire, il y avait « d'aucuns hérétiques » : nonnulli haeretici, qui croyaient ces deux points comme vous; et leur «  hérésie » consistait à ne point vouloir reconnaître au Dieu fait homme une royauté qui s'étendît sur tout : sed hunc ubique regnare nequaquam credunt. Non, vous n'êtes point irréprochable dans votre foi ; et le pape saint Grégoire, plus énergique que le Syllabus, vous inflige la note d'hérésie si vous êtes de ceux qui, se faisant un devoir d'offrir à Jésus 1'encens, ne veulent point y ajouter l'or : hi profecto ei thus offerunt, sed offerre etiam aurum nolunt (S. Greg., hom. 10, in Evang.).

 

Extrait de : « Le cardinal Pie de A à Z » par J.Jamet (Editions de Paris 2005)

 

Cardinal Louis-François Désiré-Edouard PIE

1815-1880

 

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